Le continent africain a été « matraqué », depuis plusieurs décennies, par de nombreux programmes et projets de développement. Portés par les acteurs de la configuration développementiste (l’administration locale ou nationale, la « société civile », les opérateurs bilatéraux ou multilatéraux, etc.), ces interventions en développement, qui agissent au moyen de dispositifs sociotechniques, visent à impacter la vie des populations en vue de les conduire au développement. Pourtant, les résultats auxquels ils aboutissent, sont souvent à mille lieues des prédictions.

Plusieurs études ont mis en exergue ces gaps qui distancient les annonces des résultats auxquels parviennent ces interventions en développement. De tous les éléments évoqués pour justifier ces gaps, trois retiennent mon attention ici : populisme et reproduction bureaucratique (Cf J. P. Chauveau), désincarnation des projets des milieux de mise en œuvre et la revanche des contextes (Cf J.P. Olivier de Sardan). Ces quatre éléments mis ensemble expliquent, plus ou moins, ces résultats mitigés, mais n’éludent pas la survivance d’artefacts. Ces derniers sont des marqueurs de ces interventions, c’est-à-dire des éléments tangibles créés, développés et transformés par les porteurs des programmes et projets et leurs équipes opérationnelles. Certains auteurs parlent plutôt de mémoires matérielles et immatérielles dont les populations ont souvenance et autour desquelles elles construisent des discours. En dépit de tout cela, une question se pose : quels effets les programmes et projets ont réellement induits dans les villages africains qui ont été traversés de part en part ? Pourquoi malgré tous ces programmes et projets, les indicateurs principaux de développement n’accroissent pas pour autant ? A-t-on utilisé les instruments sociotechniques les mieux indiqués pour mettre le curseur aux bons endroits dans les processus de documentation des effets des interventions en développement ? La liste de question peut s’allonger indéfiniment dépendamment de la focale utilisée.

À une époque marquée par des mutations profondes_sociales, économiques, politiques, culturelles, technologiques etc._, ces questionnements s’imposent parce qu’il est fondamental de comprendre les dynamiques en cours et ce qu’elles engendrent en termes de développement. Il urge, dans ce cas, de se demander aussi si on a mobilisé les méthodes de recherches les plus idoines pour comprendre les ressorts de ces dynamiques ou les méthodes d’évaluation les plus indiquées pour conduire des processus d’évaluation exempts de tous reproches.

Comme le soutient P. Lavigne Delville, la pratique du développement n’est pas une science, c’est un art des possibles, qui se déploie dans des jeux d’acteurs complexes, dans une méconnaissance partielle des situations et des enjeux, dans des environnements institutionnels incertains, au sein de contraintes opérationnelles et contractuelles souvent fortes. Pour ce faire, on se retrouve naturellement en présence d’innombrables jeux de pouvoirs, de logiques et de tensions qui jouent en bien ou en mal sur les transformations sociales qui se construisent.

Eu égard à cela, il est nécessaire de requestionner les méthodes d’appréhension de ces réalités en sciences sociales. Ce site vise à y contribuer modestement. Il vise à le faire à travers une approche dénommée « Ethno-Biographie du développement ». Les réflexions menées dans le cadre de ma thèse à Liège (Belgique) et de mon postdoctorat à l’Université Libre de Bruxelles (Belgique) ont déterminé cette option qui reste en construction. L’« ethno » renvoie ici à cette méthode de recherche systématique et comparative qui aide à poser des regards ancrés sur les traits et pratiques socio-culturel.le.s, religieux.ses, professionnel.le.s, d’intervention en développement, etc. d’une population, qu’ils/elles soient manifesté.e.s ou inavoué.e.s. Ordinairement, l’approche biographique permet quant à elle de penser la genèse des phénomènes sociaux, à travers la reconstruction fine et précise des dispositions d’un individu, et ainsi de saisir le social sous sa forme individuelle. L’approche biographique s’adresse à l’histoire de la vie de l’individu singulier, rencontrée dans sa texture complexe, en ce qu’elle trame toujours en elle, et la psyché, et l’individu social, et le sujet (Desmarais, D. & Gusew, A., 2021). Ici, elle est sortie de son cadre normal d’expression pour être appliquée aux faits sociaux, sinon aux pratiques liées au développement.

« Ethno-Biographie du développement » est donc un couplage de l’ethnographie et de la biographie et l’application du produit aux processus de développement. Ce couplage de l’approche ethnographique et l’approche biographique aide à mieux documenter les actions publiques (Cf P. Hassenteufel, 2011), les pratiques qui se développent autour de ces dernières et les effets « fabriqués ». Tous les types d’interventions en développement sont ici pris en compte. Cette approche exige un décloisonnement des pratiques disciplinaires et des acteurs.trices impliqué.e.s dans les processus de développement.

Ce site offre donc une nouvelle clé de lecture pour éclairer les défis de notre temps et décrypter les enjeux contemporains.

L’approche se veut à la fois rigoureuse dans la méthode, ouverte dans l’esprit, ancrée ou située dans le champ et engagée dans la recherche de sens. Il ne s’agit pas de livrer des vérités définitives, mais de poser les bonnes questions, d’ouvrir des pistes de réflexions, de contribuer à une lecture plus fine, plus ancrée, plus critique des pratiques de développement et ce, en mobilisant la démarche idoine. Ce site, qui aide à rendre plus visibles les « enfantements » des pratiques de développement,  entend ainsi :

• Nourrir la réflexion sur les grands enjeux sociaux contemporains en matière de développement (inégalités, identités, genre, mobilisations, transformations des liens sociaux, transformations sociales, gouvernance, participation, appropriation, politiques publiques, etc.),
• Favoriser les ponts entre la recherche et l’action, entre savoirs et savoir-faire académiques, savoirs et savoir-faire situés, savoirs et savoir-faire institués, compréhension vécue, etc.
• Offrir des ressources à celles et ceux – étudiante.s, professionnel.le.s, citoyen.ne.s, chercheurs.ses, décideurs, praticien.ne.s du développement, etc. qui cherchent à mieux comprendre leur environnement social et les dynamiques qu’il héberge.